Les Gabonais viennent d’offrir à Brice Clotaire Oligui Nguema un bail de 7 ans à la présidence de la République. Une fois encore, ils ont exprimé leur désir commun et ardent de fermer définitivement la page des Bongo et de leur Parti Démocratique Gabonais familial.
Ce plébiscite à plus de 90 voix sur cent – sauf les intimidations et les meurtriers passages en force de 93, 98, 2005, 2009 et 2016 – ressemble à s’y méprendre aux vents de changement qui ont vu les victoires volées à Paul Mba Abessole, Pierre Mamboundou, André Mba Obame et Jean Ping. A la différence que sans couvre-feu, sans chasse aux lapins contestataires dans les rues, sans lucarnes fermées au regard étrangers, les résultats des urnes sont ceux que le peuple y a déposés. Pour la première fois depuis l’instauration du multipartisme et la mise en concurrence de plusieurs citoyens pour accéder au poste, le camp du victorieux a enfin pu descendre dans la rue exprimer sa joie. Ainsi se termine une aventure engagée depuis le 30 août 2023. Comme prévu au terme de cette transition, un président de la République vient d’être élu de manière transparente. La question désormais est : c’est quoi la suite ?
Cet homme pressé
Les analystes politiques vous le diront. Un mandat de 7ans se découpe généralement en trois phases. Le président élu passe la première année à s’installer, les quatre suivantes à travailler et les deux dernières à se remettre en campagne s’il veut renouveler son mandat. Il est certain que Brice Clotaire Oligui Nguema n’échappera pas à ce chronogramme classique. Tout juste ne pourra-t-il simplement qu’en modifier les durées. Et quand on regarde son entourage et les moyens par lesquels il est arrivé à s’attirer la sympathie des électeurs, il est à prévoir que ce ne sera pas tout tranquille pour lui dès les premiers jours. L’urgence dans l’immédiat sera de se doter d’un parlement qui n’entrave pas son travail de chef de l’Exécutif. Sauf changement de programme de la part de cet homme pressé, des législatives et des locales sont prévues en août. C’est plutôt la forme qu’il donnera à sa démarche qui interroge. Va-t-il concrétiser l’absorption actuelle des grands partis qui animaient la vie politique du pays avant le Coup de la libération dans sa plateforme du Rassemblement des bâtisseurs qui deviendrait une vraie formation politique ? Tant il est évident que les vieilles rivalités en rancœurs entre le PDG et les autres formations politiques, surtout ceux de l’ancienne opposition pourraient raviver des antagonismes qui pourraient devenir bloquants ? On voit mal en effet comment l’Union Nationale et le PDG peuvent aller main dans la main dans un projet de modernisation du pays avec leur passé commun d’intrigues, de coups bas et d’humiliations. Surtout quand la pression populaire de rejet de tout ce qui est PDG sera encore plus forte que maintenant que Bilie by Nze est le seul à en payer la facture pour le moment.
Travailler avec tous ceux qui comme lui ont la capacité de se débarrasser de leur militantisme
La gestion immédiate de l’après scrutin lui donne d’ailleurs l’occasion de mesurer la profondeur de ce rejet qui couve. Le tout nouveau président de la République va devoir composer un gouvernement. Il dit vouloir travailler avec tous ceux qui comme lui ont la capacité de se débarrasser de leur militantisme de groupe et se mettre au service de la Nation. Cependant, l’investissement personnel dans une élection présidentielle comme celle qu’il vient de connaître n’est pas que patriotique. Il est même beaucoup plus intéressé pour être personnellement récompensé à la hauteur de l’effort fourni. A l’évidence cependant, le macrocosme de tous ceux qui se sont impliqués dans sa victoire trop grand pour ne pas pouvoir tenir dans le petit bol des appelés, ceux-là qui n’ont que la compétence et l’expérience à offrir. Il faut pourtant se l’avouer, on les trouve difficilement en dehors des rangs de l’ancien parti unique. Pourtant, dans leur large majorité, les Gabonais demandent un changement radical du paysage politique avec des hommes neufs pour gérer leur destin. Leur imposer des pédégistes qu’ils ont décidé de ײchasserײ leur ferait du mal. Ils doivent cependant comprendre avec la transition que nous venons de traverser qu’il y en a qui excellent dans leur travail tout en restant dans les cordes de la probité quand on leur donne un cap bien précis. D’où la possibilité de procéder à des ajustements pendant le passage de l’implémentation à celle du travail.
Un pays exsangue malgré la faiblesse de sa population
Et le chantier est énorme. Changer chaque recoin du pays et le sortir du retard de développement que le président a pu noter dans les visites qu’il a effectué prendra du temps, demande des moyens et surtout du courage et de la disponibilité. Les médias internationaux parlent du Gabon comme un pays exsangue malgré la faiblesse de sa population et l’immense richesse de son sous-sol. Cette réalité dont Brice Clotaire Oligui Nguema hérite de l’ancien régime sur plus d’un demi-siècle est une tâche, une souillure de mauvaise gestion et de répartition inéquitable des revenus du pays. Les chiffres sont la plus grande illustration de cette incongruité économique à corriger. Voilà un pays dont le PIB par habitant est estimé en moyenne à 19.266 dollars américains, 11 millions de francs cfa, et donc plus fort que celui de la Chine, de l’Afrique du Sud et juste derrière le Mexique et l’Argentine. Mais dont la population manque de tout, dont le cadre de vie ne reflète pas cette richesse et où le tiers de la population trime encore pour vivre avec moins de 500 francs cfa par jour. Un pays où la majorité des milliardaires qui roulent en VX et s’offrent des palaces ne sont ni des hommes d’affaires, ni des propriétaires d’entreprises mais des fonctionnaires ou hommes politiques qui ont braqué et pillé l’Etat.
Une rupture d’avec cette ancienne justice des règlements de comptes
C’est justement l’autre chantier que les Gabonais attendent de voir le président Oligui ouvrir. Il a promis leur rendre la dignité. Cela passe par une justice qui lit le droit et applique la loi. Une justice sort de son inféodation avec le régime. Les Gabonais attendent une rupture d’avec cette ancienne justice des règlements de comptes et un passage à une justice vraiment dite au nom du peuple gabonais. Il y a eu un bon début avec le coup d’arrêt donné à l’impudence de la destruction d’une école publique par un quidam se prétendant plus fort que l’Etat du fait de ses amitiés. Depuis, l’inacceptable se poursuit et en plusieurs chapitres et de plus en plus forts de défiance. On a vu un tribunal de première instance se déclarer incompétent pour appliquer une décision de la Cour de cassation. On a vu des étrangers narguer des nationaux et les spolier contre leurs droits et en violation de la loi en affirmant qu’ils ont le tribunal dans la poche. On a vu des citoyens oubliés dans les détentions provisoires des décennies entières sans jugement. De cette justice, les Gabonais ne veulent plus.
A l’évidence le président a choisi de mettre toutes ces réformes en place au pas de course. Qu’il tienne le rythme ou pas, le peuple le jugera à la fin de son mandat. ײS’il ne vous satisfait pas, chassez-moiײ, leur a-t-il demandé. Comme pour leur fixer un rendez-vous en 2032, au mois d’avril.