Le mardi 4 mars dernier, à l’occasion d’une déclaration solennelle tenue à la Maison du Barreau du Gabon, Me Raymond Obame Sima, bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Gabon, a dénoncé avec vigueur la paralysie totale du système judiciaire, entrée dans sa deuxième phase critique après le déclenchement de la grève du Syndicat national des greffiers (SYNAGREF) le 9 janvier 2025, suivi du Syndicat national des magistrats (SYNAMAG) le 14 janvier. Selon le bâtonnier, cette situation dramatique ne saurait perdurer davantage, tant ses répercussions sont asphyxiantes pour l’ensemble des acteurs du secteur judiciaire et pour les justiciables.
Le constat est accablant. Selon les magistrats et les greffiers, ils évolueraient dans une précarité chronique, entre bureaux exigus, manque criant de matériel et conditions de travail dégradantes. Loin d’être une simple doléance corporatiste, cette situation met en péril l’ensemble de la chaîne judiciaire. Pire encore, les risques auxquels ces professionnels sont exposés, notamment lors des sessions criminelles, qui se prolongent souvent tard dans la nuit, constituent une menace permanente pour leur sécurité.
Si le bâtonnier, Me Obame Sima, concède la pertinence des revendications formulées par les grévistes, il n’en demeure pas moins qu’il soit préoccupé par les conséquences désastreuses de cette paralysie. Au-delà des greffiers et magistrats, c’est tout l’appareil judiciaire qui est asphyxié, compromettant non seulement l’accès au droit et à la justice pour la population, mais également la pérennité économique des avocats et auxiliaires de justice.
Un service minimum inefficace et aux effets dévastateurs
L’instauration d’un service minimum par les syndicats grévistes, loin d’atténuer les effets de la crise, a accentué les dysfonctionnements. Tandis que le SYNAGREF s’est contenté d’assurer des tâches administratives essentielles (délivrance d’informations et réception de requêtes), la tenue des audiences a été drastiquement réduite. Plus alarmant encore, le SYNAMAG aurait suspendu les audiences publiques, les délibérations en chambre du Conseil et les référés, engorgeant ainsi les affaires urgentes et prolongeant dangereusement les détentions provisoires.

Pour le Barreau du Gabon, cette situation s’apparente à une atteinte manifeste aux droits fondamentaux des citoyens et aux principes mêmes de la justice. En exacerbant la surpopulation carcérale et en détériorant les conditions de détention, elle aggrave un contexte déjà dénoncé par de nombreuses organisations internationales de défense des droits humains. Certes, les revendications des magistrats et greffiers sont légitimes, mais elles ne peuvent, en aucun cas, justifier l’anéantissement total du fonctionnement des juridictions, avec des répercussions socio-économiques dramatiques pour l’ensemble du pays.
Un rappel à l’ordre
Dans son allocution, Me Raymond Obame Sima a tenu à rappeler avec fermeté que le droit de grève, bien qu’inaliénable, ne saurait être exercé en dehors du cadre légal. Il a insisté sur l’impérieuse nécessité de respecter la loi n°1/2005 du 4 février 2005 relative à la Fonction publique, qui impose l’instauration d’un service minimum garantissant la continuité du service judiciaire et la sécurité des citoyens. L’obstruction totale à la justice, sous couvert d’un mouvement social, constitue une violation grave des textes en vigueur et appelle une réaction proportionnée de l’État.
Face à cette inertie jugée délictueuse par les avocats, le Barreau du Gabon annonce sa décision de saisir le Conseil d’État pour statuer sur la légalité des restrictions imposées par les grévistes. Par ailleurs, le barreau du Gabon réclame des mesures compensatoires pour les avocats lourdement affectés par cette interruption prolongée du service judiciaire. Dans le même temps, il presse les autorités de la Transition et les syndicats à reprendre sans délai les négociations, dans l’optique d’un compromis conforme aux impératifs légaux et respectueux des principes fondamentaux du droit.
Une crise judiciaire aux lourdes conséquences économiques et sociales
Cette paralysie institutionnelle a mis à l’arrêt les tribunaux du pays, impactant directement plus de 2 500 professionnels rattachés aux 117 cabinets d’avocats du Gabon. Parmi eux, les jeunes avocats récemment admis au barreau subissent de plein fouet les effets pervers de cette crise, peinant à maintenir leurs activités dans un système judiciaire en déliquescence. Cette impasse menace également la confiance des citoyens envers leur justice, laissant place à une forme de justice alternative marquée par l’arbitrage informel et les règlements de conflits en dehors du cadre légal.
Le Barreau national du Gabon, tout en reconnaissant la légitimité des doléances exprimées par les grévistes, exhorte à un retour immédiat à une justice fonctionnelle, seule garante des droits des citoyens et du respect de l’État de droit. L’enjeu dépasse les querelles corporatistes, c’est toute l’architecture judiciaire et démocratique du pays qui est en péril.